La Conférence des Oiseaux, 1979

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Récit théâtral de Jean-Claude Carrière
Inspiré par le poème de Farid Uddin Attar (« Mantic Uttair »)
La mise en scène de Peter Brook a été représentée
pour la première fois au Cloître des Carmes, le 15 juillet 1979 (Festival d’Avignon)
Musiciens Blaise Catala, Linda Daniel, Alain Kremski,
Amy Rubin, Toshi Tsuchitori
Eléments scéniques et costumes Sally Jacobs
Masques balinais contemporains Ida Bagus Anom, Wayan Tangguh
Masques balinais anciens Collection de Jacques FassolaAvec Maurice Bénichou, Urs Bihler, Malick Bowens, Michèle George, Miriam Goldschmidt, Andreas Katsulas, Arnault Lecarpentier
Mireille Maalouf, Alain Maratrat, Bruce Myers, Yoshi Oida, Natasha Parry, Jean-Claude Perrin, Tapa Sudana

« Grâce à ce chemin très particulier qu’est le théâtre, nous avons accès à des couches subtiles et cachées de l’expérience humaine. Quels sont les moyens nécessaires pour s’engager sur ce chemin ?

C’est pour répondre à cette question qu’en 1971 nous avons commencé un travail de groupe. Si le groupe était international, ce n’était pas dans le but d’échanger des recettes, car nous voulions surtout éviter de faire une salade de cultures. En fait il s’agissait, par des exercices et des improvisations, de tenter de parvenir à l’essentiel c’est à dire au champ où les impulsions de l’un rejoignent les impulsions de l’autre pour résonner ensemble.

Pour cela il fallait passer – le processus est long et difficile – de la culture extérieure à la culture intérieure – de la personnalité apparente à l’individualité. Pour rendre cette démarche un peu moins impossible nous avons commencé par une séparation arbitraire des éléments de base. Nous avons travaillé sur le corps et ses gestes, mais sans croire à l’expression corporelle comme un but en soi. Nous avons travaillé sur les sons comme moyen d’expression, sans imaginer que le langage habituel doit pour cela être éliminé. Nous avons travaillé en improvisation libre devant des publics de toutes sortes pour mieux apprendre la relation intime qui existe à chaque instant entre la vérité d’une forme d’expression et la qualité de la communication.

Notre point de départ était obligatoirement nous-mêmes. Mais pour éviter de tourner en rond dans un narcissisme dangereux, il est absolument nécessaire de s’appuyer sur quelque chose de plus grand et de plus fort venant de l’extérieur, qui lance un défi à notre compréhension et nous contraint à voir au-delà de cet univers personnel que nous projetons devant nous à chaque instant et que nous confondons avec la réalité.

C’est ainsi que très tôt nous nous sommes tournés vers Attar qui appartient à une tradition où l’auteur lui-même cherche à servir une réalité plus grande que celle de ses fantasmes ou de ses idées et qui essaie de tremper les fruits de son imagination dans un univers qui le dépasse. La Conférence des Oiseaux, œuvre dont les facettes et les niveaux sont sans limite représentait pour nous cet océan dont nous avions besoin.

Dans la brousse africaine, dans la banlieue parisienne, avec les Chicanos de la Californie, les Indiens du Minnesota, et aux coins des rues de Brooklyn nous avons joué de courts fragments de la La Conférence des Oiseaux toujours dans des formes différentes – des formes dictées par la nécessité de communiquer – et toujours en découvrant avec une grande émotion que ce contenu était véritablement universel, qu’il passait sans gêne à travers toutes les barrières culturelles et sociales. La dernière nuit de notre séjour à Brooklyn, en 1973, nous avons joué trois versions différentes de La Conférence des Oiseaux. Celle de 8 heures du soir était du théâtre brut, vulgaire, comique et plein de vie. Celle de minuit était une recherche du sacré, intime, chuchotée à la lumière des bougies. Et la toute dernière qui avait commencé à 5 heures du matin dans le noir pour se terminer avec l’arrivée du jour était en forme de chorale où tout passait par le chant improvisé. A l’aube, avant de nous séparer pour plusieurs mois, nous nous sommes dit : la prochaine fois, il faudra essayer de réunir tous ces éléments à l’intérieur du même spectacle.

Plusieurs années passèrent jusqu’au moment où il nous a semblé possible de revenir à Attar.

Et cette fois le but était double : remplacer l’improvisation par un spectacle pas nécessairement fixe, mais assez stable pour être reproduit autant de fois que nécessaire ; et ainsi remplacer les impressions partielles et fragmentaires données dans le passé par une tentative de capter et de raconter le poème tout entier.

Le travail des répétitions a commencé avec une question. Est-ce que l’acteur peut devenir oiseau et ensuite derviche ou princesse, uniquement avec son corps et son visage habituels ? Non. Il y a un moment où les contorsions du corps et les grimaces du visage deviennent excessives et l’autre possibilité, ne rien indiquer extérieurement, serait une solution théâtrale trop aride. Donc un outil devient nécessaire, quelque chose qui est comme une extension ou une exaltation de l’impulsion de base. Habiller l’acteur en oiseau avec un masque sur la tête serait trop lourd parce qu’il s’agit plutôt de donner une suggestion rapide qui n’encombre point l’imagination. A certains moments on a besoin de sentir d’avantage le côté figuratif de l’oiseau, mais moins à d’autres moments.

Techniques et expériences acquises par les acteurs dans le passé étaient à leur disposition. Entre l’instrument qui est un doigt et celui qui est un son, par exemple, ils ont pu choisir comme on fait entre un pinceau et un autre.

de cette manière, sans y penser et souvent sans le savoir, nous avons utilisé des éléments d’expression hétéroclites provenant des sources qui correspondaient à l’expérience collective du groupe. Devant chaque difficulté il y avait toujours la même référence. Chacun était profondément touché par Attar et cherchait à exprimer ce qui pour lui était concret et réel dans le poème. »
Peter Brook

 

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