Un costume enchanté

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© Le Point – 7 avril 2012 – Par Valérie Marin La Meslée
Le costume, The suit, est de retour aux Bouffes du Nord, mais tout nouveau, tout beau, avec une nouvelle adaptation, dans sa langue « natale », l’anglais, de l’œuvre du Sud-Africain Cam Themba. Pleine de grâce et d’humour, sur un fond tragique avec musique et chansons, elle est signée par le trio gagnant, sur cette même scène, de La flûte enchantée : Peter Brook, Marie-Hélène Estienne et le compositeur Franck Krawczyck.

C’est dire qu’on ne se débarrasse pas facilement de ce « Suit, laissé par un amant en fuite dans la chambre de sa maîtresse à l’arrivée du mari… Ce dernier, Philémon, force désormais sa femme à vivre « avec » ce costume qui partage chaque instant de leur quotidien. Il y a douze ans, Peter Brook et Marie-Hélène Estienne montaient le spectacle en français, dans la sobriété de cette fable qui avait emballé le metteur en scène anglais quelques années plus tôt : « Peter avait lu une critique de la pièce montée à Londres par notre ami Barney Simon, et aussitôt, il a désiré la mettre en scène. »

Le costume, première version, va tourner quatre ans, mais au moment d’en faire une adaptation en anglais, comme le couple a l’habitude d’en proposer pour leurs spectacles, avec l’expérience d’une remarquable gymnastique linguistique, l’inspiration ne suit pas. « Ça arrive, je ne sais pas pourquoi ça ne marchait pas à l’époque. Mais on a su attendre », confie Marie-Hélène Estienne. Et pour le meilleur. La tournée de Une flûte enchantée, libre adaptation de Mozart par Peter Brook l’an dernier qui a enchanté le monde entier, va remettre l’équipe sur le chemin du Costume.

Théâtre urbain et social

« Avec Franck Krawczyck, le compositeur, et William Nadylam (merveilleux interprète du mari actuellement dans The suit, NDLR), nous étions au Chili et avons assisté à des manifestations estudiantines contre le régime, auxquelles participaient la chanteuse Violeta Parra et des musiciens, et cette ambiance m’a fait repenser au Costume qui a recommencé « à la chilienne ». « Même si la nouvelle mise en scène de The Suit ne retiendra pas au final la note latino-américaine, c’est le contexte social et la solidarité entre les gens et les artistes dans un contexte politiquement dur qui demeurent transposés au coeur des townships d’une Afrique du Sud de l’apartheid. Un théâtre ancré dans la vie. »

Dans cet environnement est né un théâtre urbain et social, à la fois grave et tellement léger, avec des comédiens qui n’ont d’autres moyens que leurs corps et la musique pour jouer, et surtout, qui jouent pour les gens tout autour. « Le théâtre sud-africain et Peter Brook, c’est pareil, poursuit Marie-Hélène Estienne, car c’est un théâtre ancré dans la vie. » Jusqu’au 5 mai, sur la scène des Bouffes du Nord, les comédiens interprètent un texte qui s’est encore transformé au fil des traductions et retraductions, et se trouve augmenté, dans une ponctuation très rythmée de chansons et d’airs appartenant à toutes sortes de traditions, et d’époques, africaines ou occidentales de Myriam Makeba à Shubert.

Cette audace devient ahurissante de naturel, car elle traduit les émotions universelles, qu’elles soient intimes, sociales, politiques… Nonhlanhla Kheswa, native de Johannesburg, comédienne et chanteuse (notamment choriste de Wyclef Jean), y révèle une présence et une voix magnifiques. Et comme les musiciens prennent activement part aux différentes scènes, voici reconstituée cette atmosphère si particulière, entre joie et difficultés de la vie d’un ghetto. On se croit au milieu d’un de ces townships où Can Themba racontait, parfois devant des Blancs comme le futur Prix Nobel de littérature Nadine Gordimer, précise Marie-Hélène Estienne, ses histoires, comme celle, éternelle, du mari de la femme et de l’amant, sur fond d’Apartheid, ces cieux où les Noirs étaient pendus et les paroles des créateurs interdites.

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