Costume royal

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© Les Echos – Vendredi 6 avril 2012 – Par Philippe Chevilley
Elle pose sur le sol le costume de son amant, cuisant vestige de son adultère, se débarrasse de ses bijoux, s’assoit lentement sur une chaise à côté… et sa tête tombe sur sa poitrine. C’est ainsi, sans un cri, que meurt de chagrin l’héroïne de « The Suit », monté par Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord. Le grand dramaturge franco-britannique met en scène pour la seconde fois la nouvelle du Sud-Africain Can Themba, mais en version musicale, dans la lignée de sa petite « Flûte enchantée » de 2010. Coadaptée par Marie-Hélène Estienne, cette fable tragique comme un soleil noir est mise en musique par Franck Krawczyk, qui avait fait des prodiges avec le Mozart en chambre.

Publié dans les années 1950, « The Suit » se prête au conte, au chant, à la danse, au théâtre sans frontière. Dans un bidonville menacé par les bulldozers, au plus fort de l’apartheid, se débat une petite communauté noire, qui travaille dur et prend le temps d’aimer. Un jeune homme, Philémon, surprend Matilda, sa femme, au lit avec un amant. Ce dernier s’enfuit sans demander son reste… et laisse son costume. Pour punir sa femme, Philémon l’oblige à traiter le vêtement comme un invité, jusqu’à ce jour de fête où, devant leurs hôtes, il lui demande de danser avec… Brook réussit une fois de plus un petit miracle, magnifiant la fable avec peu d’effets. Le décor, minimal comme toujours, signé Oria Puppo, a des allures d’arc-en-ciel brisé -avec ses sièges multicolores évidés. En arrière-plan, une jungle de portants rappelle l’omniprésence du costume… Les belles lumières de Philippe Vialatte créent tour à tour le très clair et le très obscur des ciels changeants d’Afrique du Sud.

Le spectacle joue sur plusieurs tons : la tragédie grecque, le récit de griot, la comédie musicale, le film à la Chaplin (dans les scènes de fête). Il n’oublie pas de nous rappeler de manière lancinante, dans ses mots et dans ses chants, la brutalité de l’apartheid, le déchaînement raciste du pouvoir blanc.
Pluie de notes

La bande-son de Krawczyk, interprétée par un trio de classe (guitare, piano, trompette), fait habilement la fusion entre classique (Schubert, Bach), jazz-pop (« Summertime », « Feeling Good », « Jeux interdits »), et chansons sud-africaines. Non contente d’être bonne actrice, Nonhlanhla Kheswa (Matilda) est une chanteuse d’exception, à la voix troublante et souple. Jared McNeill (le journaliste et narrateur) donne lui aussi joliment de la voix et joue avec grâce son rôle de dandy rebelle. William Nadylam incarne avec un subtil mélange de candeur et de dureté un Philémon ivre de douleur. Jusqu’à ce que la mort s’invite en un halo bleu nuit et une pluie de notes sur la scène des Bouffes du Nord. Les coeurs brisés des townships ont rejoint l’éternité

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