Dans « les monts et vallées du cerveau »

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© Le Parisien – 30 avril 2014
Peter Brook embarque le public dans « les monts et vallées du cerveau »

Le metteur en scène britannique Peter Brook est de retour dans « son » théâtre des Bouffes du Nord, qu’il a dirigé de 1974 à 2010, pour une nouvelle création, « The Valley of Astonishment », sur les secrets du cerveau.
On pense au cinéaste Alain Resnais réalisant en 1980 « Mon oncle d’Amérique », sur les travaux du scientifique Henri Laborit. Et comme Resnais, Peter Brook, 89 ans, explore avec une curiosité d’enfant et une liberté totale.

Cela donne une forme singulière, très éloignée des épopées poétiques comme le Mahabharata (1985) mais toujours nourrie de culture et de musique orientale. Sur la belle scène nue du Théâtre des Bouffes du Nord, quelques tables et chaises et deux musiciens, Raphaël Chambouvet (piano et accordéon) et le musicien japonais Toshi Tsuchitori, fidèle homme orchestre de Peter Brook depuis 1976.
Trois comédiens excellents jouent plusieurs rôles de « patients » aux capacités mémorielles exceptionnelles. On les voit évoluer dans leur vie ou dans le cabinet de deux docteurs en sciences cognitives.
On pourrait craindre un pensum, mais c’est une courte pièce limpide, souvent drôle, grâce notamment à la formidable actrice Kathryn Hunter. « Je suis un cas » (« I am a real phenomenon ») dit-elle comiquement, car la pièce est en anglais.
Son personnage « Sammy » est doté d’une mémoire ahurissante: chiffres, noms s’inscrivent dans son cerveau sous forme d’images. Elle ne gagnera rien à cette capacité phénoménale, puisqu’elle perd son travail et se retrouve exhibée sur scène comme une bête de foire.
D’autres « cas » de synesthésie sont incarnés sur scène, toujours avec limpidité: ce phénomène neurologique associe plusieurs sens, par exemple des caractères sont associés à des couleurs, des nombres à des positions dans l’espace, des mots ou nombres à des personnes, des notes de musique à des couleurs etc… il existe plus de 150 formes de synesthésie.
La passion de Peter Brook pour le cerveau humain ne date pas d’hier, puisqu’il a déjà créé deux pièces sur le sujet, « L’Homme qui » en 1993 et « Je suis un phénomène » en 1998.
L’exploration de Peter Brook et de sa fidèle collaboratrice Marie-Hélène Estienne n’a rien d’aride, mais introduit au contraire une subtile poésie et pose bien des questions. Sommes-nous réductibles à nos cerveaux, nos synapses et nos neurones? Ou l’affect a-t-il sa part? Comment se fait-il que ces personnes si aptes à mémoriser ne parviennent pas à oublier?
Cette promenade dans « la vallée de l’étonnement » tire son nom d’un grand poème persan de Farid Al-Din Attar « La conférence des oiseaux », où trente oiseaux doivent terminer leur recherche en parcourant sept vallées toutes plus difficiles les unes que les autres à traverser. La pièce nous emmène dans la sixième vallée, celle de l’étonnement. Peter Brook n’a pas fini de nous étonner.

« The Valley of Astonishment », création au Théâtre des Bouffes du Nord du 29 avril au 31 mai puis en tournée (Holland Festival, The Young Vic à Londres, New York, Genève, Madrid, Luxembourg, Marseille).

© Photo : Pascal Victor

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