Vietnam, théâtre de guerre

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©Libération – René Solis – 8 octobre 2012
Napalm . Peter Brook restaure son brûlot pacifiste de 1968.
Londres, 1967. Peter Brook a monté l’année précédente avec des acteurs de la Royal Shakespeare Company une pièce sur la guerre du Vietnam, baptisée US. Ils décident de prolonger l’expérience par un film. Tourné en quelques semaines, sorti en 1968, Tell Me Lies sera privé de projection à Cannes pour cause d’annulation du festival. Une mention spéciale du jury à la Mostra de Venise ne suffit pas à lui asssurer sa sortie en salles. En 2011, le grand metteur en scène décide de s’attaquer à la restauration de cet élément maudit de son œuvre. Boulot compliqué mais convaincant : Tell Me Lies est un ovni cinématographique. La première séquence semble augurer une bonne purge de cinéma militant. Un type rentre chez lui à Londres, obsédé par une photographie dans un magazine, celle d’un enfant vietnamien, brûlé au napalm, porté par sa mère. Une image qui le hante et détermine son engagement sur le thème «impossible de rester les bras croisés devant de telles horreurs».

Les poncifs ne sont pourtant pas au rendez-vous. Question de forme d’abord : même si le film reprend des éléments du spectacle qui l’a précédé, ce n’est pas du théâtre filmé. Il avance sur le double terrain du documentaire et de la fiction, sans dire sur quel pied il danse. Ainsi ne sait-on pratiquement jamais si les personnes interrogées au fil des séquences sont de «vrais gens» ou des acteurs. Il faut être un spécialiste de géopolitique des années 60 pour identifier des personnalités telles que le dirigeant des Black Panthers, Stokely Carmichael, ou le député travailliste Reginald Paget. Cette absence d’indications rend le film plutôt compliqué à comprendre d’un point de vue historique, mais n’enlève rien à son intérêt. Ainsi, de la plus stupéfiante séquence, où Mark Jones, l’acteur principal, débarque dans une party très chic. Et entreprend d’interpeller des dirigeants du parti travailliste, au pouvoir à l’époque, sur leur position face à la guerre du Vienam, et en particulier sur l’opportunité d’y envoyer des troupes britanniques pour soutenir les Américains. On s’attend à ce que l’intrus soit fermement raccompagné à la porte mais ils se prêtent au jeu et cela donne dix minutes inouïes, où cynisme et bonne conscience alternent avec de bonnes rasades de scotch.

Tell Me Lies poursuit par ailleurs deux ou trois pistes dont il ne démord pas, dont celle du feu. L’image de l’enfant brûlé renvoie à celle d’immolation de bonzes ou celle de Norman Morrison, un militant pacifiste américain. Peter Brook fait rejouer cet épisode par un acteur, sans pour autant prétendre à une reconstitution réaliste : le «Pentagone» est le bâtiment de l’ambassade américaine à Londres. La dénonciation n’intéresse pas Brook, qui procède plutôt par associations et interrogations. Tell Me Lies est moins un film sur la guerre du Vietnam que sur les ressorts de l’engagement.

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