Mois : juillet 2006

Un festival de polémiques

© Libération 14 juillet 2006. Par René Solis

Le Festival d’Avignon, une histoire en mouvement, au gymnase du lycée Saint-Joseph, 12 h-13 h et 15 h-18 h. Jusqu’au 15 juillet. Entrée libre.

C’est hier matin au gymnase Saint-Joseph, que Peter Brook a donné le lancement de trois jours de rencontres entre artistes, universitaires et grands témoins sur «l’histoire en mouvement» du Festival depuis sa création en 1947. Cette manifestation, organisée en collaboration avec la Maison Jea Vilar à l’occasion de la soixantième édition, n’est pas réservée au spécialistes, mais, au contraire, largement ouverte au public
La première journée était consacrée à «l’évolution des formes esthétiques théâtrales». On a pu notamment y entendre le philosophe et philologue Heinz Wismann, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, dont la présentation de la communication telle qu’elle figure dans le programme donne une idée de la hauteur des débats : «L’écoulement régulier d’un temps homogène et vide fait partie des perceptions constitutives de la conscience moderne. Scandé par les horloges, réduit aux échéances et consigné dans les archives, ce temps abstrait se substitue ainsi à celui de l’expérience vécue, l’accélération vertigineuse des événements n’étant que la trace fugitive de son passage monotone. Or, parmi les pratiques dérivées de l’observance religieuse, les rituels de l’art servent désormais de principal antidote à la déréalisation existentielle. Plus particulièrement, les arts de la scène sont appelés à restituer la plénitude spatio-temporelle du rapport entre le cours des choses et le destin des êtres. En jouant sur la diversité convergente des rythmes et des lieux, le Festival instaure une sorte de cosmogonie singulière, dont chaque avatar fait signe vers la promesse d’un sens partagé.»
Au programme d’aujourd’hui, «Le public à la rencontre des œuvres», avant la conclusion de samedi consacrée au «Festival témoin et acteur citoyen».

« Sizwe Banzi est mort » – entretien

Entretien avec Peter Brook. Par Fabienne Darge, 6 juillet 2006 ©DDOOSS
À 81 ans, l’infatigable voyageur Peter Brook poursuit son exploration du théâtre comme instrument de découverte de la vie dans ce qu’elle a de plus divers : une esthétique de la pluralité, une éthique de la curiosité et de l’ouverture qui l’amènent à monter une nouvelle fois ce «théâtre des townships» sud-africain avec « Sizwe Banzi est mort », d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona. 
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Entretien avec Peter Brook. Par Fabienne Darge, 6 juillet 2006 ©DDOOSS
À 81 ans, l’infatigable voyageur Peter Brook poursuit son exploration du théâtre comme instrument de découverte de la vie dans ce qu’elle a de plus divers : une esthétique de la pluralité, une éthique de la curiosité et de l’ouverture qui l’amènent à monter une nouvelle fois ce «théâtre des townships» sud-africain avec « Sizwe Banzi est mort », d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona. 
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En direct du ghetto

© Les Inrocks, juillet 2006 – Propos recueillis par Patrick Sourd

L’artiste britannique traite de l’identité à l’époque de l’apartheid. Un récit du passé qui trouve écho dans la condition des sans-papiers d’aujourd’hui.A quand remonte votre découverte du théâtre des townships ?
EN 1978, John Kani et Winston Ntshona, les deux acteurs noirs qui signent avec l’auteur blanc Athol Fugard « Sizwe Banzi est mort » étaient reçus pour la première fois au Royal Court, à Londres, pour présenter « The Island », leur pièce sur l’île-prison de Robben Island où, parmi d’autres, Nelson Mandela était emprisonné. Pendant quarante minutes et en silence, deux hommes sur un plateau vide accomplissaient le travail dur et inutile de remplir des brouettes et de les vider d’un côté à l’autre de la scène. Le public, sous le choc, se retrouvait transporté dans le quotidien des prisonniers, et l’actualité brûlante de l’Afrique du Sud de l’apartheid s’y incarnait d’une manière totalement naturelle, très différente du théâtre politique de l’époque. Ils montraient le pire dans l’affirmation d’un jeu où l’horrible, le tragique et le joyeux étaient inséparables. Ce théâtre m’a tout de suite fasciné. Les deux acteurs étaient sortis clandestinement d’Afrique du Sud. Ils n’avaient pas le droit de jouer dans leur pays – pas plus devant un public noir qu’a fortiori devant un public blanc ou mixte – et ils furent arrêtés à leur retour en Afrique du Sud.

Après Londres, avez-vou eu l’occasion de les retrouver en Afrique du Sud ?
J’ai fait le déplacement à Port Elizabeth pour parler avec eux de notre projet d’une version anglaise du Mahâbhârata. Mais sous l’apartheid, les bars et les restaurants étaient interdits aux Noirs. Ce régime atroce était malgré tout obligé de prévoir des endroits pour recevoir des hommes d’Etat ou des dignitaires noirs étrangers, tel un de ces hôtels cinq étoiles où nous avons pu prendre le thé ensemble.
Y avait-il d’autres lieux d’exception où la mixité était possible ?
Barney Simon (auteur et directeur de théâtre – ndlr) avait réussi à ouvrir le seul théâtre mixte d’Afrique du Sud. La raison en est simple, on pouvait séparer les races partout, sauf sur les marchés. Barney Simon avait eu la bonne idée d’acheter avec des amis le vieux marché de Johannesburg, et d’en faire le Market Theatre, un lieu extraordinaire.

« Sizwe Banzi est mort » est signé par deux acteurs et un auteur, cette pièce est-elle le fruit d’un travail d’improvisation ?
John Kani et Winston Ntshona improvisaient tandis qu’Athol Fugard retranscrivait, il avait ainsi un rôle de monteur en affinant la structure, en éliminant les redites. Mais l’auteur réel, ce sont les townships. Dans les townships, quand quelqu’un avait vécu une expérience révoltante, il n’avait pas d’autres possibilités que de se transformer en conteur pour partager son histoire avec ses amis et ses parents au coin d’une rue. Dans ces terribles conditions de vie, l’absence de théâtre avait fait naître une autre forme de théâtre… de très haut niveau. Tout ce que nous cherchions ici d’une manière intellectuelle était déjà présent chez eux grâce à cette école de la rue.

Aujourd’hui, les Noirs forment une nouvelle bourgeoisie en Afrique du Sud, que reste-t-il du théâtre des townships ?
Avant chaque révolution, la situation est très claire, un rapport de conflits aussi brutalement net provoque une situation très créatrice. On peut rappeler l’exemple des pays de l’Est, celui de la Californie avec le théâtre des fermiers luttant contre l’injustice faite aux migrants mexicains. Au lendemain de toutes les révolutions, il y a un moment d’exaltation, mais les problèmes se reposent dès le surlendemain. Le besoin d’œuvres miroirs existe toujours mais leur émergence est infiniment plus difficile lorsque les lignes de démarcations deviennent de plus en plus obscures entre les classes, car ainsi le théâtre ne peut plus naître d’une expression spontanée. C’est pour cela que le théâtre bourgeois a inventé les auteurs.

Quel est encore l’enjeu de monter un tel théâtre ?
Quand on fait du théâtre, ce qui compte au moment de la représentation, c’est que la note produite sonne si juste que rien n’aurait d’égal pour la faire entendre. On pourrait inventer un mot français pour qualifier le théâtre des townships, le « crire », le cri et le rire en même temps. La question que pose « Sizwe Banzi est mort » est de ne pas pouvoir exister sans un papier muni d’un tampon. A l’époque, on pouvait voir la pièce comme la dénonciation de l’injustice du régime qui existait là-bas. Aujourd’hui, on s’aperçoit que cette pièce dépasse largement son contexte immédiat. Nous l’avons jouée devant des jeunes à Paris et à Lausanne et, croyez-moi, cette petite pièce vaut la peine d’être reprise car elle parle d’une réalité – celle d’avoir ou pas des papiers – qui touche au plus profond de l’humain et du politique aujourd’hui.

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